À certains égards, on pourrait en effet parler d’une approche objective, d’un quasi diagnostic, où chaque cadrage se donne pour tâche de révéler ce qui est, ce qui est là, en le tenant à l’écart de tout aspect de pittoresque ou d’anecdote. Cet aspect général, qui implique une certaine austérité, et qui fait de chaque image un relevé, agit, avec la répétition, comme une succession de stases documentaires que l’on se surprend à scruter. Ce que l’on découvre, et qui donne au propos toute son épaisseur, c’est que nous sommes devant une échelle flottante, où les catégories du proche et du lointain, au lieu de se clarifier tranquillement comme devant un horizon qui les rendrait lisibles, superposent leurs effets : à quelle distance sommes-nous de ce monde qui tantôt fait quand même étendue, tantôt semble se recroqueviller dans sa pulsation la plus intime ? Si sur certaines de ces images – celles où un peu de ciel a été laissé, celles, plutôt enherbées, où un effet de vallon se maintient –, la référence aux attendus du paysage reste effective, il en est d’autres, et ce sont les plus nombreuses, où la proximité est si grande que l’on a l’impression de passer en rase-mottes au-dessus de la peau de la Terre, jusqu’à en percevoir les moindres rides et les plus légers accidents.
Jean-Christophe Bailly,
Extrait, 2024